France :correspondance de Mme Florence Bergeaud-Blackler
Projet de charte halal du Conseil Français du Culte Musulman :
Une charte nécessaire et attendue mais perfectible
Au-delà du débat sur la certification, la polémique qui vient de naître suite
à l’annonce de l’UOIF de ne pas soutenir charte halal proposée en l’état par
le Conseil Français du Culte Musulman, révèle le positionnement historique
des principales organisations musulmanes de France sur la question du halal,
met en lumière les principaux nœuds de fixation du problème et montre enfin
le décalage existant entre les préoccupations des musulmans de France
et les instances supposées les représenter.
Comme le parodiait un bloggeur du site cfcm tv, les « cinq piliers du halal
business français » repose sur l’Etat , la Grande Mosquée de Paris,
La Mosquée d’Evry Courcouronnes, la Mosquée de Lyon, et les industriels.
L’Etat d’abord (et l’UE) qui encadre l’abattage rituel sur la base d’une réglementation
mise en place il y a un demi-siècle –et qui n’est plus adaptée à la situation actuelle- ;
les trois grandes mosquées à qui le Ministère de l’Intérieur a confié
le monopole de la « sacrification » depuis les années 90 (aucune autre mosquée
ou institution privée ne peut délivrer de carte de sacrificateur); et enfin les industriels
qui, profitant du marché anarchique et florissant de la certification, peuvent faire
certifier à bons prix leurs produits par des entreprises qui n’ont de halal que le nom.
Jusqu’ici l’action du CFCM pour tenter de réguler le marché halal,
s’était limitée à la mise en place de commissions fantômes sur l’abattage rituel
et sur la « qualification » halal. Cette commission était chargée d’aider
les pouvoirs publics à l’organisation de l’abattage à l’occasion de la fête
de l’Aid el Kebir, et de faire des propositions pour réguler le marché halal
ou former des sacrificateurs.
Mais cette commission n’a servi qu’à préparer les chiffres officiels d’abattage
de la grande fête pour rassurer le ministère de l’Agriculture et lui donner
une caution musulmane auprès de la Commission Européenne qui depuis 1997
considères les aménagements prévus pour l’Aïd el Kebir comme des abattages clandestins.
Sous la pression du coming out halal décomplexé des supermarchés,
de celle des fidèles horrifiés par l’usage commercial de leur patrimoine religieux,
avec l’impulsion d’associations de « consommateurs musulmans », celles
d’internautes mécontents qui n’ont que les forum et les blogs pour porter
une parole publique, Mohamed Moussaoui , le président du CFCM s’est finalement
résolu à porter le projet de charte. Une charte destinée à mettre un terme aux usages
abusifs du halal, mais surtout à donner au CFCM l’autorité, sinon le droit, de contrôler
le halal au nom des musulmans de France.
Cette charte qui aborde l’abattage sur le plan théologique et pratique est bien plus détaillée
et complète que celle proposée par la Grande Mosquée de Paris en 1995. Sa maturité est
due notamment au rôle qu’ont joué pour la rédiger la Mosquée de Lyon et les signataires
de la pétition « halal en danger » (www.halalendanger.com) qui disposent d’un savoir faire,
d’un bon relai sur la toile, et enfin à un pacte de non agression tacite avec AVS, organisation
très crédible sur le marché de la certification qui, sans s’associer à ce projet, l’a certainement inspiré.
La charte pose notamment que tout étourdissement doit être banni sur la chaîne halal.
C’est un positionnement auquel s’est ralliée la mosquée de Lyon il y a quelques années et auquel
s’est accrochée in extremis la mosquée d’Evry- ralliée de dernière minute à la cause du halal
sans étourdissement. La charte isole définitivement la mosquée de Paris accusée de laxisme
et discréditée par le seul fait d’utiliser l’étourdissement.
Mais cette idée selon laquelle l’étourdissement ne serait pas halal est relativement nouvelle.
Les textes religieux ne disent bien évidemment rien sur le sujet. S’agit-il d’une stratégie
de différenciation qualitative pour créer une identité halal ?
Ce qui est sûr c’est que l’équation « viande étourdie » (sic) = viande haram (illicite)
connait depuis cinq ans une popularité grandissante et s’impose selon un raccourci saisissant
dans plusieurs pays européens. Il suffit de dire aux consommateurs que les animaux
sont « électrocutés » pour les dissuader de manger leur viande, comme symétriquement
les groupes hostiles à l’abattage rituel tentent de monter leurs ouailles contre
les animaux « égorgés en pleine conscience ».
La réalité de l’étourdissement (qui recouvre de nombreuses techniques dont l’efficacité
et les effets varient d’une espèce à l’autre), l’histoire de son acceptation est pourtant
bien plus complexe et nécessiterait un débat et non une position péremptoire comme
celle sur laquelle campe les rédacteurs de la charte.
Pourquoi ne pas examiner les fatwa d’Al-Azhar qui acceptent l’étourdissement, les nombreuses
études scientifiques sur les différentes techniques d’insensibilisation, pourquoi nier les progrès
scientifiques en la matière, pourquoi ignorer les positions toutes favorables à l’étourdissement
des organisations professionnelles vétérinaires et des organisations de protection animales
qui ont d’autres intérêts que la rentabilité économique ? Une charte crédible devrait être
plus souple, plus ouverte aux expertises contradictoires.
Car au fond il n’est pas absurde de déplorer que les religieux participent à des abattages massifs
qui permettent à des familles de manger de la viande tous les jours à bon prix et qu’ils ne mènent
aucune réflexion appliquée sérieuse sur les moyens de réduire leur souffrance dans des conditions industrielles.
Il ne suffit plus de clamer que la religion est bienveillante à l’égard des animaux, il faut le prouver
et dans des conditions réelles sans crier à l’islamophobie devant la moindre contradiction.
Cette charte est nécessaire. Elle a d’ailleurs bien des qualités, notamment d’être techniquement
bien étudiée, c’est une première ébauche encourageante.
Mais elle n’est, en l’état, ni économiquement ni politiquement réaliste. Son intransigeance vis-à-vis
de l’étourdissement ne tient pas en compte les progrès techniques, les conséquences économiques,
les souffrances animales dans un contexte de production massive où la protection animale
n’est plus assurée correctement par la puissance publique. Il vaudrait mieux, à mon avis, laisser
cette question à l’appréciation de ce Comité National de la Charte Halal du CFCM (CNCH)
que la charte propose de mettre en place.
L’autre faiblesse de la charte réside dans l’absence de remise en question du monopole accordé
aux trois mosquées. On ne peut pas à la fois vouloir une refonte totale du système et fonctionner
avec des agréments dont les motivations et les conséquences restent troubles.
Une charte qui ne casse pas le monopole de l’habilitation des sacrificateurs a, selon moi,
peu de chances d’aboutir.
Enfin, une Charte du CFCM risque d’être aussi peu populaire que l’institution elle-même.
C’est le pari facile qu’a fait l’UOIF qui, un pied dehors , un pied dedans, continue
de jouer les trublions.
L’UOIF critique le monopole des trois mosquées : « l’examen du dossier de la norme “Halal”
doit se faire dans sa globalité en reconsidérant la désignation et la formation des sacrificateurs
que seules trois Mosquées sont, à ce jour, habilitées à nommer ».
Pour Fateh Kimouche, auteur et animateur du blog Al-Kanz et indéfectible pourfendeur
des manœuvressur le halal, l’UOIF demande l’impossible pour tout saboter. Je crois,
pour ma part qu’il n’est pas impossible que le monopole soit levé. A mon sens, la vraie raison
de l’absence de soutien de l’UOIF est dans le point suivant : « Le marché du halal en France
souffre avant tout de la déficience du contrôle et non de l’absence d’une charte ».
Le sens politico-pragmatique des dirigeants de l’UOIF, prudentissimes sur la question du halal
depuis des décennies, se découvre là encore. L’appareil de l’UOIF, notamment depuis ses débuts
bordelais, a toujours fonctionné sur un temps long. Rien ne sert de courir, il faut partir à point.
Et, pour en avoir l’expérience au Bourget, elle connait assez bien les ressorts du marketing halal.
Un logo CFCM sur une barquette halal revient à faire porter sur le produit toute la suspicion
qu’évoque cette institution pour la très grande majorité des musulmans de France.
Et, outres ses expériences locales, l’institution a suffisamment de relais en Europe pour savoir
que les contrôles sur le marché de la viande sont en voie de privatisation, que les Etats perdent
de leur influence.
Elle n’a rien à gagner directement de la mise en place d’une charte halal avec des partenaires
qui n’ont pas comme elle le sens des affaires sur le marché religieux.
Le moment n’est pas favorable donc.
La prise de distance de l’UOIF est un mauvais coup pour la charte du CFCM.
Il n’est pas sûr cependant que l’UOIF puisse durablement se contenter de jouer l’inertie
et peser de tout son poids sur un système qui n’est plus seulement mobilisé par l’appareil politique.
Une fois n’est pas coutume, le CFCM est à l’écoute des fidèles qu’il est supposé représenter.
S’alimenter est une préoccupation quotidienne pour une population très majoritairement attachée
si ce n’est au halal, au moins au symbole halal (car très peu connaisse, ou possède les informations
pour savoir de quoi il retourne précisément face à une mention halal).
Il suffit de lire les forums, les blogs ou d’assister à des conférences comme celle de l’association
Rencontre et Dialogue le 10 décembre à Roubaix pour voir combien la question du droit
à la consommation et au contrôle des produits halal est discutée dans les familles et a pris
des proportions inégalées. Les musulmans ne font pas ici valoir leur droit à la pratique mais
celui de leur droit à l’information et être traités comme des consommateurs comme les autres.
Sur ce plan, il y a beaucoup à faire.
Des initiatives comme la charte du CFCM sont donc à encourager mais une tabula rasa
est nécessaire pour abolir les privilèges. Il restera alors à convaincre les industriels,
mais c’est là un autre débat.
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mercredi 26 janvier 2011
- CFCM : Conseil Français du Culte Musulman une charte halal nécessaire et attendue mais perfectible par Mme Florence Bergeaud Backler
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